Bonjour
Voici la deuxième suite des aventures de Jonas et Ludovic.
Bonne lecture
Deux elfes impétueux (partie 2)
Quand Ludovic décida que les critiques qu’il s’adressait suffisaient, il respira avec lenteur. Il devait se calmer, surmonter la nouvelle et rester celui que Jonas connaissait. Enfin, il s’estima assez remis pour l’affronter pendant quelques instants. Il lui parut impératif que Jonas ne devine pas son mal-être. Il sortit son portable de sa poche et fit semblant de téléphoner en retournant vers la table où son ami l’attendait.
— Oui maman… J’arrive dès que je peux… Ne t’inquiète pas… À tout de suite.
Il se réinstalla sur la banquette et simula une grimace dépitée.
— Je suis désolé, je dois partir. Ma mère a un problème avec sa plomberie. Je sais qu’elle panique vite, mais je dois aller l’aider.
Jonas afficha une mine déçue.
— Est-ce que j’ai au moins le temps de te montrer mon costume pour vendredi ?
Ludovic hésita, mais ça paraîtrait plus que suspect s’il se sauvait trop rapidement.
— Bien sûr, je ne suis pas à deux minutes. D’après ce que j’ai compris, le problème ne vient pas d’une fuite. Mais, pour ta tenue, tu es sûr ? Je pensais qu’on ne devait pas dévoiler notre déguisement avant notre arrivée à la soirée. Mais pourquoi le comité d’entreprise a-t-il eu cette idée idiote ? Ça me gonfle déjà de me promener avec un costume ridicule.
— Nous deux, ce n’est pas pareil, assura Jonas. Quoi que tu fasses, je ne me moquerai jamais de toi, tu le sais. Et nous n’avons pas besoin de dire que nous connaissons la tenue de l’autre.
Ensuite, il se pencha sous la table pour attraper un sac dont il sortit le trousseau parfait d’un elfe. Il lui montra également un masque ajouré, identique au sien, puisqu’il était fourni par le C.S.E.[1]. Celui-ci leur couvrirait sans doute la plus grande partie du visage. Ludovic tenta de lui adresser un sourire naturel.
— Moi aussi, j’ai choisi un déguisement d’elfe. Nous serons assortis, c’est bien. Excuse-moi, mais je dois vraiment te laisser, ma mère va se demander ce que je fais. Bonne soirée.
Il fila le plus vite qu’il le put et ne commença à se détendre que lorsqu’il tourna au coin de la rue.
Jonas ne s’expliquait pas ce qui venait de se passer. Il avait tout prévu pour que ce rendez-vous se termine comme il le souhaitait. Un peu anxieux, il avait même pris le temps d’attendre que ses émotions se calment après avoir vu Ludo entrer dans le café. Il se sentait si fébrile, qu’il avait dû patienter, en l’observant de loin. Il ne l’avait rejoint que lorsque sa respiration avait retrouvé un rythme normal.
Au début, il avait songé qu’il ne parviendrait pas à lui parler. Mais Ludovic avait semblé si heureux. Il s’était aussi montré ravi qu’il ait choisi un box. Ceux-ci étaient bien plus intimes que les tables où leurs voisins auraient pu profiter de leur conversation. C’est ensuite que tout s’était dégradé.
Jonas ne croyait pas une minute à l’histoire du problème chez sa mère. Il tenta de se souvenir de leur court tête-à-tête. Non, il n’avait rien dit qui aurait pu le blesser. Avait-il fait preuve de maladresse en désirant s’expliquer sans pour autant entrer dans les détails ? Il pensait que le fait qu’il ne soit plus obligé de retourner à Paris chaque week-end lui ferait plaisir. Plus d’une fois, Ludo s’était plaint de ne jamais pouvoir prévoir une sortie avec lui. Alors commencer par ça lui avait semblé être une évidence. C’était pourtant au moment où il le lui avait annoncé que son visage s’était rembruni. Ensuite, comme s’il ne voulait plus rien entendre, Ludo ne lui avait pas laissé le temps de terminer ce qu’il souhaitait lui dire. Et maintenant, Jonas se retrouvait seul, assis sur cette banquette confortable qu’il avait pensé être le lieu où débuterait leur histoire.
Il souhaitait tant expliquer à Ludo que dès le premier jour, son attirance pour lui l’avait submergé. Ça l’avait pris par surprise, mais quand il avait rencontré ce jeune homme au tempérament tout aussi ardent que la couleur de ses cheveux, il s’était produit quelque chose en lui. D’habitude, il s’intéressait plutôt aux gars grands, costauds et plus âgés. Alors, il ne s’attendait pas à tomber sous le charme d’un type très mince et du même âge que lui. Ludo était bien plus petit que lui, son visage était parsemé d’adorables taches de rousseur qui accentuaient son air juvénile. On le remarquait de loin avec sa chevelure de feu.
Si tout en Ludovic avait provoqué une flamme dès leur première rencontre. Le fait d’apprendre à le connaître avait attisé le brasier qui se consumait en lui quand il apparaissait. L’incendie était devenu si brûlant que maintenant, il l’aimait plus que de raison et voulait plus, bien plus que leur amitié professionnelle.
Je suis amoureux, éperdument amoureux et je ne sais plus quoi faire, se lamenta-t-il.
Si seulement, il avait pu flirter dès le début et lui faire comprendre qu’il craquait pour lui, tout aurait été différent. Mais jusqu’à la semaine dernière, il était encore trop noyé par ses ennuis. Il se sentait bloqué et n’osait rien entreprendre.
De nos jours, avec les réseaux sociaux et la technologie, tout finissait par s’ébruiter. Même en étant très prudent, il n’y avait aucun moyen d’être discret en permanence. Et il refusait d’imposer à Ludovic une relation cachée. Il était terrifié par les conséquences si Damien, son ex, avait appris qu’il voyait souvent un de ses collègues, même de façon amicale. Tout aurait été à refaire, il aurait peut-être dû repartir à Paris et reprendre la vie commune avec Damien.
Quitter Ludovic lui semblait impossible. Il avait besoin de croire que si leur histoire existait un jour, elle méritait tout. S’ils parvenaient à être ensemble, alors ils vivraient au grand jour, ils ne se contenteraient pas de quelques instants volés.
Il s’était éloigné de Paris pour être plus libre et pourtant, il n’avait jamais pu se défaire de sa peur d’être pris en défaut et que tout lui explose à la figure. Depuis son arrivée dans cette ville, il se retenait. Parfois, il évitait encore de toucher Ludo, par peur de succomber à ses désirs. Mais surtout, depuis qu’il avait pris conscience de ses sentiments, il n’attendait que le moment où il pourrait enfin tout lui révéler et se déclarer. « Le moment » qui aurait dû avoir lieu ce soir.
Les épaules de Jonas s’affaissèrent, marquant sa désillusion et sa tristesse.
— Eh bien, c’est une grande réussite, soupira-t-il.
~~~~~~~~~~
Ludovic avait cessé de se presser dès l’instant où il avait été sûr que Jonas ne pouvait plus le voir. Sans savoir que ce dernier déprimait en terminant son café, il se dirigea d’un pas lent vers sa voiture. Quand il s’installa derrière son volant, il eut un moment d’hésitation. Devait-il y retourner et lui demander des explications ? Mais la simple idée de l’entendre lui dire qu’il était amoureux de quelqu’un d’autre était au-dessus de ses forces.
Maintenant, il était là, démuni et incapable d’atténuer sa peine ou de trouver comment occuper son temps. Il ne put se résoudre à rentrer dans sa maison vide. Il avait trop rêvé d’y emmener Jonas, ce soir. Des images de leur vie au bureau lui passèrent par la tête, leurs fous rires, les plaisanteries qu’ils échangeaient en permanence. Puis, il repensa à leurs déjeuners quotidiens dans la petite cuisine de l’agence. Tous ces moments qui lui faisaient espérer plus et presque imaginer qu’ils étaient déjà un couple.
Alors pour ne pas être tout à fait un menteur, il alla rendre visite à ses parents. Il dîna même avec eux pour avoir une raison de cesser de réfléchir à ce qui n’existerait jamais.
[1] Comité social et économique, présent dans les entreprises d’au moins 11 salariés
(à suivre…)