Le Nouveau

Le-Nouveau

La nouvelle « Le nouveau » a été inspirée par la photo ci-contre.
L’action de cette histoire se déroule au cours d’une journée où un homme s’enflamme pour un autre.

 
Crédit photo : jcomp – www.freepik.com

Je me réveille dans une forme olympique. Tout en moi n’est qu’optimisme et je sais pourquoi. Il y a si longtemps que je n’ai pas ressenti ça. Hier, j’ai fait la connaissance d’un homme superbe. J’ai éprouvé un tel coup de cœur que je ne parviens pas à le décrire. Je n’ai qu’une certitude, il a réveillé mon envie de plus.

Depuis un bon moment, je me contentais de ce que je trouvais sans avoir à chercher. Il me suffisait de me rendre au bon endroit pour ça, c’était simple, sans gêne et sans difficultés. Nous cherchions la même chose, pas besoin de se prendre la tête pour qu’en quelques instants, on obtienne un soulagement. Je n’avais pas besoin de rêver d’apothéose. Mais grâce à lui, je sais que je veux plus et mieux, je désire du vrai, du beau. Je souhaite vivre une histoire sincère.

Cet après-midi, je vais le revoir. Je descends les escaliers quatre à quatre, je n’ai jamais été aussi heureux d’aller bosser. Au moment où je monte dans ma voiture, Aymeric, mon voisin m’interpelle.

— Eh bien, Vincent ! tu as l’air d’être très pressé.

Je n’ai pas envie de lui parler et encore moins de lui expliquer pourquoi je cours presque pour aller au boulot. Cette sensation n’appartient qu’à moi, elle me porte, elle me rend heureux et j’ai bien l’intention de profiter de l’instant sans que qui que ce soit interfère et me casse ma joie.

— Oui, j’ai une réunion importante et je suis déjà en retard.

Il me jette un regard surpris. Pendant quelques secondes, la culpabilité m’étreint. Dans l’urgence de l’esquiver, mon ton était sans doute un peu trop abrupt. Aymeric n’habite ici que depuis quelques semaines et je suis celui des deux qui a souhaité créer des liens. J’aime les relations de bon voisinage. C’est pour cette raison que depuis son arrivée, chaque jour, je me suis arrangé pour échanger quelques mots avec lui. Je comprends que mon attitude de ce matin le surprenne.

Pour atténuer les choses, je lui souris et lui adresse un signe de la main. Mais je m’empresse tout de même de démarrer. J’ai déjà envie d’être assis à mon bureau. Ainsi, je pourrai expédier le boulot que je dois réaliser avant ce soir et faire passer le temps plus vite jusqu’à ma pause de quinze heures. Si je ne veux pas m’impatienter, je dois être occupé. Abattre en quelques heures tout le travail de ma journée devrait m’éviter l’ennui.

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— Il n’est que dix heures !

Je détourne mon regard de la pendule qui décore mon bureau et scrute la pièce. Je suis toujours seul, c’est donc bien moi qui viens de parler. J’ai beau tenter de me concentrer, je n’avance pas. Au contraire, je ne fais que fixer les chiffres qui m’indiquent l’heure. Je ne pense qu’à lui et à ses mots si envoûtants. C’est comme si je voyais son visage en permanence. Je ne peux pas oublier son sourire, ses clins d’œil complices, sa façon de se pencher vers moi pour me montrer son attirance…

Tout me plaît chez lui. Son regard sombre envoie des ondes de chaleur dans ma poitrine quand il croise le mien. Son sourire me fait presque perdre la tête. Sa voix, un peu voilée, est sans doute le détail qui m’a fait chavirer et craquer si vite pour lui. J’ai besoin de le voir, même si je ne sais pas comment lui dire ce que je ressens.

J’avais abandonné l’idée de rencontrer quelqu’un. Je me complaisais dans les rencontres éphémères parce que depuis toujours, ma timidité, dès que je suis sous le charme d’un homme, ruine ma vie amoureuse. C’est une malédiction que je ne parviens pas à vaincre. Quand j’essaie de lui parler, j’ai comme un blocage. 

L’objet de ma flamme a souvent pensé que j’étais un imbécile parce que les mots que j’avais soigneusement préparés refusaient de sortir. Il m’est aussi arrivé d’être trop impressionné et d’avoir tout simplement oublié ce que je souhaitais dire. Dans les deux cas, je restais planté là, silencieux, incapable de bouger et celui à qui je tentais de me déclarer s’empressait de trouver une excuse pour s’échapper.

Je ressens encore l’angoisse, la gêne et la honte de ces moments peu glorieux. Mais cette fois, je suis bien décidé à surpasser ce « handicap » stupide. J’ai la certitude que son attitude ouverte, agréable et généreuse va m’y aider. Hier, je n’ai pas eu de mal à discuter, même si bien sûr, je ne lui ai pas dit qu’il me plaisait. Mais au moins, il sait que je viens chaque jour dans ce bar qui jouxte l’immeuble de bureaux dans lequel je travaille.

Il était si heureux que nos horaires coïncident et que nous puissions nous rencontrer si souvent. Il s’est intéressé à moi. Il m’a posé tant de questions sur ma vie que ça ne pouvait pas être innocent. Et quand il m’a dit qu’il s’impatientait de me revoir, je ne tenais plus. J’aurais pu lui répondre que je l’étais autant que lui, mais ça m’a semblé bien trop tôt.

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Les heures se sont écoulées plus vite alors que je rêvassais à notre future rencontre. Même pendant le déjeuner, je n’ai fait que ça, penser à lui. Je me sens un peu idiot d’être attiré à ce point. Après tout, je ne l’ai vu qu’une fois pendant moins d’une demi-heure. Mais tout m’a semblé si parfait, si incroyable.

Maintenant que l’heure d’y aller est arrivée, je tente de m’apaiser. Mais chaque couloir me paraît bien plus long que d’habitude. Même l’ascenseur se montre très lent aujourd’hui. Si j’étais seul, je sauterais sur place pour le faire descendre plus vite. Cette pensée ridicule me calme. Là, je deviens vraiment idiot.

Enfin, nous touchons le rez-de-chaussée, il ne me reste que le grand corridor à franchir et j’atteindrai l’esplanade. La porte automatique s’ouvre, j’aperçois la façade du coffee shop. Dès que j’aurai traversé cette place pavée, je le reverrai. L’anticipation du plaisir d’être près de lui me porte, mon pas s’allège. J’ai même l’impression qu’il ne m’a fallu que quelques secondes pour rejoindre l’entrée du bar.

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Sourire aux lèvres, j’entre sans hésiter. La déception m’envahit. Quelques clients sont installés aux tables. Hier, il n’y avait que moi, c’était agréable. Je prends toujours ma pause en décalage avec mes collègues pour obtenir cette tranquillité. Aujourd’hui, ce ne sera pas le cas. C’est dommage, je rêvais d’être à nouveau seul avec lui.

Une femme entre par la porte latérale. Elle me grille la priorité, mais je m’en moque, il m’a souri. Je suis sur un nuage, mon attirance pour lui atteint des sommets. Pourtant, avec un calme que je suis loin de ressentir, je prends place devant le bar.

Tout à coup, ses mots fusent, les mêmes qu’hier. Mais ils ne me sont pas adressés, ils sont destinés à la jolie blonde qui s’est avancée vers lui plus vite que moi. Il se penche vers elle, affiche une mine troublée et lui assure qu’il est déjà impatient de la revoir. Il la charme et la séduit sans efforts. Avec la même rapidité que moi, elle succombe. Il lui donne son cappuccino en la saluant avec un clin d’œil. La femme, désormais enjouée, sort avec un air rêveur sur le visage. Le nouveau barista ne se tourne pas vers moi, son corps s’incline vers une autre personne. Il lui sourit et comme la veille avec moi, il parle d’un ton plus bas. L’homme brun lui répond, ils semblent si complices. Sa formule commerciale est tant au point que son attrait fonctionne sur tout le monde. Chacun ressent la sensation d’être l’unique objet de son attention, mais ce n’est qu’un leurre.

Mon cœur se dégonfle. Je me suis fait avoir par une tactique mercantile. Je me croyais spécial, je ne suis qu’un client comme les autres. Mon attirance pour le nouveau barista s’envole et soudain, je me sens seul. C’est tout moi, courir après un rêve improbable, m’imaginant des sentiments inexistants. Encore une fois, je suis déçu. Je m’en veux bien plus qu’à ce serveur qui n’a que le tort d’être un bon commerçant. Si j’étais moins idiot, j’aurais compris que je poursuivais une chimère. Hier, tout troublé par son attention, je n’ai même pas pris la peine de lire son prénom sur son badge.

À cet instant, je ne vois que le morceau de plastique doré qui orne sa poitrine, Benjamin y est gravé en lettres noires. Comme chacun d’entre nous, cet homme possède un prénom, mais alors que je pensais trouver l’amour avec lui, cette information ne m’a pas intéressé une seconde. Ce qui m’attirait, c’était son attention, sa capacité à me faire imaginer que j’étais le centre de son monde. Hier, le fait d’être le seul client a exacerbé mes sensations. Il n’avait que moi à qui parler, il m’a sorti le grand jeu… et moi, je n’ai pas cherché à résister, je me suis contenté de prendre mes rêves pour des réalités. Prendre conscience que je n’étais en fait qu’un consommateur qu’il souhaitait fidéliser afin de lui vendre à nouveau ses produits est dur à encaisser.

Il est un vendeur et je suis un vaniteux en manque d’affection. Qui de nous deux a le plus de torts ? Moi, sans aucun doute. Je me dois de l’admettre. Lui, il ne fait que son métier et il le fait bien. Après tout, pendant quelques minutes, il donne l’impression à quelqu’un qu’il est important. Ses clients quittent les lieux avec un sourire ravi, ils ont passé un bon moment.

Lorsqu’il s’approche de moi, je n’ai pas encore trouvé la force de cacher mon amertume. Il se penche, toujours aussi avenant, mais la magie s’est évaporée. Elle se brise définitivement quand mon téléphone sonne. Je lève un doigt pour lui faire comprendre qu’il doit attendre, que cet appel est urgent, bien que je n’aie pas pensé à vérifier qui était mon correspondant. Peu importe, il n’est plus ma priorité. Sans plus me soucier de lui, je décroche.

— Vincent ? C’est Aymeric. Je sais que tu es occupé, mais ce matin, j’avais tout prévu, j’allais enfin t’inviter à dîner. Je n’ai aucune certitude que c’est réciproque, mais tu me plais ! Et si je ne te le dis pas aujourd’hui, je ne te le dirai jamais. Acceptes-tu dîner avec moi, ce soir ?

Aymeric a parlé d’un ton précipité. Je reconnais la vitesse de débit du timide qui se jette à l’eau. J’ai presque honte de ne pas avoir remarqué qu’il m’appréciait. Je me suis laissé embobiner par de belles paroles, alors que j’avais la sincérité juste sur le pas de ma porte.

— Aymeric, je suis tellement désolé d’être parti si rapidement, ce matin. Bien sûr que j’accepte. Où se retrouve-t-on ?

— Chez moi, à vingt heures. Ce soir, je te prépare ma spécialité. À tout à l’heure.

Il a raccroché trop vite, je n’ai pas eu le temps de répondre et pourtant, je sens mon sourire renaître. Aymeric et moi sommes deux timides. Nous serons sans doute empruntés et maladroits. Nous dirons peut-être des idioties avant de nous en rendre compte, mais nous serons vrais. Tout est rassurant, agréable et je suis déjà certain que tout se passera bien.

Le barista s’impatiente. Je le sens, même s’il garde une attitude avenante. Cette fois, je lui montre mon visage le plus affable.

— Un latte caramel, s’il te plaît Benjamin. À emporter ! Ce soir, j’ai un rencart. Je vais le boire en travaillant, parce qu’il n’est pas question que j’arrive en retard.

Est-ce qu’il a senti que je n’étais plus réceptif à ses bavardages ? Je ne sais pas, mais il reste silencieux pendant qu’il prépare ma commande. Dès qu’il me la tend, je sors et finalement, je change d’avis. Je ne retourne pas à mon bureau tout de suite, je préfère m’asseoir sur un des bancs de l’esplanade. Il fait si beau cet après-midi et je sens que ma soirée se révélera géniale, j’en suis persuadé.

De toute façon, depuis ce matin, je n’ai fait que rêvasser. Continuer un peu plus longtemps n’aura aucune influence sur la qualité de ma journée de travail déjà bien compromise. Et cette fois, je ne me laisserai pas emporter, je ne préparerai rien. Les choses se dérouleront comme elles le devront. Alors que je déguste ma boisson chaude, je prends une décision. Ce soir, je vais vivre le moment, apprécier l’instant tel qu’il se présentera. Peu importe sa finalité, Aymeric est quelqu’un de vrai, il est gentil, serviable, agréable, sans faux semblants.

Je quitte le banc, m’avance vers le hall de mon immeuble et jette mon gobelet dans la première poubelle sur mon chemin. Le ciel bleu m’attire, je lève les yeux en souriant.

— Vis dans la réalité, Vincent, il est temps !

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