Pour l’Amour d’un Ange (épisode 3)

Encore une fois, Julien poussa une plainte et Damon y entendit la note de colère. Dans leur impasse, il n’y avait que deux maisons, les leurs. Ce serait un miracle que quelqu’un ait l’envie de se promener ici. Il soupira, personne ne viendrait secourir l’objet de sa flamme, sauf si lui-même se décidait à le faire. S’il hésitait à s’approcher de lui depuis un mois, ce n’était pas sans raison. Dès qu’il l’avait aperçu, il était tombé sous son charme.

Depuis, c’était son drame. Coincé dans une mission qu’il ne souhaitait pas remplir, il observait Julien. À cause de cette surveillance, chaque jour, il craquait un peu plus pour lui, alors que l’aura de son petit pavillon montrait bien que Lucifer l’avait envoyé ici pour lui. Au début, il avait espéré, Julien recevait souvent des amis, mais l’aura serait-elle si noire, si elle n’était due qu’à un visiteur occasionnel ?

— Peut-être y a-t-il une chance qu’il ne m’ait pas dépêché pour lui, murmura-t-il. Ces deux hommes qui lui rendent souvent visite, l’un des deux a peut-être marqué la maison d’une façon ou d’une autre. À plusieurs reprises, ils ont même dormi chez lui. Il y a aussi ce groupe de personnes qui viennent le week-end. L’autre jour, l’aura m’a semblé plus noire qu’à l’habitude. Et si…

Dans un soupir, il reconnut qu’il cherchait des solutions qui n’en étaient pas. Si son objectif n’était pas Julien, pourquoi l’avoir envoyé ici ? Damon se souvint alors de sa première mission, celle où il avait sauvé ces deux femmes d’une mort certaine. Lucifer l’avait dépêché dans un hôtel à l’aura noire comme du charbon, il avait dû s’approcher de chaque membre du personnel, avant de se rendre compte que c’était un client qui ne venait que de temps en temps qu’il devait exterminer.

Et si…, espéra-t-il sans y croire tout à fait.

Si Julien n’était pas son objectif, il devrait tenter de l’aborder pour en avoir la certitude. Cependant si cette rencontre confirmait qu’il l’était, il devrait le tuer et Damon ne parvenait pas à s’y résoudre.

Donc, depuis un mois, il ne faisait qu’une chose, il le regardait vivre en restant assez éloigné pour garder Julien en vie. De toute façon, son travail était de l’espionner pour l’empêcher de perpétrer son prochain crime. Il l’avait suivi chaque jour dans le moindre de ses déplacements. À l’heure du déjeuner, assis à une table en retrait, il l’observait alors qu’il mangeait avec ses collègues et le soir, il le filait en voiture jusqu’à leurs résidences.

Et depuis tout ce temps, Julien n’avait jamais rien fait de mal. Il avait une existence plutôt rangée, de temps en temps, il passait un moment avec des amis dans un bar ou il recevait chez lui, mais sinon, il ne faisait rien. Damon n’avait constaté aucune sortie tardive, ou de promenade dans des quartiers malfamés, non vraiment, sa cible ne faisait rien de condamnable.

Pourtant, Damon avait eu le temps de découvrir un homme joyeux et aimable. Il avait même aidé une dame d’un certain âge à placer ses sacs de courses dans sa voiture. En plus d’être beau, Julien semblait gentil, agréable et serviable. Qu’avait-il bien pu faire de si terrible pour que Lucifer le lance à sa poursuite ?

Julien était si charmant, avec ses longs cheveux blonds qu’il disciplinait en queue de cheval. Il n’avait pas pu discerner la couleur de ses yeux, mais de derrière sa fenêtre, ils paraissaient très clairs. Ce qu’il pouvait voir faisait plus que lui plaire, son grand corps élancé, ses jambes interminables et même sa manière de s’habiller. Julien avait toujours la classe. Ses vêtements étaient classiques, mais originaux. Il portait un gilet très coloré sous sa veste de costume et un nœud papillon assorti, il avait son style à lui et ça lui allait comme un gant.

Tant que Damon ne s’approcherait pas de lui, il n’apprendrait pas ses méfaits et il pourrait continuer à l’épargner. Le rejoindre aujourd’hui représentait l’assurance de devoir le tuer dans l’heure qui suivrait.

— Je ne peux pas aller le secourir, geignit-il.

Mais la voix coléreuse de Julien s’éleva de nouveau et cette fois, Damon était la cible de sa fureur.

— Voisin de merde ! Tu ne viendrais pas m’aider, ben non, hein ! Tu n’es pas capable d’ouvrir ta porte quand on veut faire connaissance ni de dire bonjour. Tout ce que tu sais faire, c’est te barrer ! Connard !

Julien avait tenté de sympathiser, Damon s’en souvenait très bien, et même trop bien. S’il avait mangé tout le clafoutis que son voisin, après plusieurs vaines tentatives de rencontres, avait fini par déposer devant sa porte, il ne l’avait jamais remercié de vive voix. Comme un idiot, Damon avait attendu qu’il soit l’heure de son départ pour sa journée de travail et en catimini, il s’était empressé d’aller rendre le plat vide. Il l’avait déposé sous le petit porche de Julien, accompagné d’un mot qu’il avait espéré satisfaisant. Si l’aura très noire qu’il percevait n’avait pas suffi, en s’approchant des vibrations de haine avaient transpercé son corps jusqu’à le faire frémir. C’était ainsi qu’il avait obtenu la confirmation que la personne qui vivait ici devait être maintenue dans son viseur.

Mais, ce jour-là, ce qu’il n’avait pas prévu, c’était le retour très rapide de Julien qui avait sans doute oublié quelque chose. Damon avait à peine refermé sa porte que Julien se garait devant sa maison. Au début, il avait soufflé de soulagement, mais quand le jeune homme avait sonné chez lui une minute plus tard, il s’était réfugié dans le grenier. Cette cachette stupide ne l’avait pas empêché d’entendre la colère de Julien.

— Je sais que tu es là ! Je t’ai vu rentrer il y a moins d’une minute et ta voiture est dans ton allée. Tu m’évites et je ne comprends pas pourquoi, mais j’espère que c’est parce que tu as la peste, parce que sinon ton comportement est plus que malpoli. Crétin !

Et à cette minute, son trop charmant voisin s’égosillait de la même manière. Trouvant des mots de plus en plus grossiers pour le qualifier.

Il soupira, cette fois, il devait prendre une décision, même si le secourir l’obligeait à l’exécuter. Si Julien restait coincé toute la nuit sur ce sol gelé, il ne survivrait pas. Mais s’il s’éteignait de façon naturelle, irait-il en enfer ? Quel choix stupide : Il pouvait, soit le laisser mourir, soit le tuer lui-même.