Pour l’Amour d’un Ange (épisode 6)

Lorsque Julien découvrit la table, il s’arrêta et l’admira sans s’expliquer comment Damon avait fait pour faire une aussi jolie présentation en si peu de temps. Puis, il sentit l’odeur provenant du four et enfin, il remarqua la table du salon recouverte de mignardises et d’une bouteille de champagne dans son seau de glace. Son voisin devait être un excellent magicien en organisation, parce que tout semblait prêt pour accueillir ses invités.

Il s’avança avec lenteur vers la cuisine, cette fois, il devait vraiment le remercier. Quand il y pénétra, ce fut Patrick qu’il trouva. Celui-ci se servait un verre de punch et lui tournait le dos. La déception que Julien ressentit fut si intense qu’il vacilla. Pendant un moment, il respira avec lenteur pour retrouver une contenance avant de faire connaître sa présence.

Après quelques instants, il se força à sourire et à s’exclamer d’un ton trop joyeux pour être sincère :

— Je suis si heureux que tu sois enfin là !

Patrick se retourna et lui renvoya un rictus chaleureux.

— Eh bien, tu as mis les petits plats dans les grands, s’étonna le nouveau venu.

— Je voulais te faire plaisir. J’espérais aussi faire bonne impression sur ta famille pour notre premier Noël ensemble. Ils ne devraient plus tarder, je suis content que tout soit prêt.

Merci Damon, pensa Julien, pourtant, il ne parvenait toujours pas à s’expliquer comment ce dernier avait pu préparer tout ça pendant le temps de sa douche, même s’il reconnaissait volontiers l’avoir fait durer. Le souvenir de son voisin fit s’égarer ses pensées, il s’imagina profiter de ce réveillon avec lui, rire, faire connaissance, observer son sourire. Mais bien trop vite, Patrick lui répondit, l’obligeant à revenir à la réalité.

— Tu es si attentionné.

— Je suis celui qui tenait à ce que nous passions Noël ensemble. Il me semble normal de tout faire pour que ce soir, tu sois le roi de la fête, puisque tu as fait l’effort de rentrer.

— Le voyage a été long, se plaignit Patrick. Derrière moi, un mioche chialait sans arrêt et j’étais assis à côté d’un gros idiot qui ronflait.

En l’écoutant raconter son trajet désagréable, Julien se rendit compte que malgré le fait qu’ils ne s’étaient pas vus depuis plus d’un mois, aucun d’eux n’avait fait un geste pour embrasser l’autre. Dans son esprit, il avait imaginé des retrouvailles plus passionnées, plus amoureuses. Il voulut faire un pas vers Patrick, mais quelque chose en lui le contraignit à rester immobile. Tout à coup, l’idée d’être dans les bras de son compagnon le dérangeait. Un sentiment de culpabilité et une sensation de rejet se combinaient en lui. Figé à l’entrée de la cuisine, il ne sut que faire.

— Je suis d’autant plus heureux d’avoir tout fait pour te faire plaisir, alors, murmura-t-il.

Le ton de sa voix lui parut si faux qu’il se mordit la joue pour s’empêcher de continuer à parler. Malgré ses efforts, c’était déjà trop tard, Patrick avait remarqué que quelque chose n’allait pas.

***^+*+***

Allongé sur son lit, Damon s’obligea à penser à sa mission. Il devait absolument se focaliser dessus et oublier ses envies de romance de Noël. Pourtant, quand il avait tout préparé chez Julien, il l’avait fait comme s’il prévoyait de partager cette soirée avec lui.

Il eut un rire triste en se remémorant sa difficulté à ajouter plus de deux assiettes sur la table. S’il ne s’était pas souvenu que ces deux couverts n’étaient pas prévus pour Julien et lui, mais pour Julien et Patrick, il n’y serait pas parvenu.

Il soupira et pria pour que sa cible vienne vite. Partir était devenu une nécessité absolue. La simple idée de, chaque jour, croiser Julien avec son compagnon faisait vriller sa poitrine d’une douleur inconnue, certes, mais surtout insupportable.

Comme si un des ressorts de son matelas lui piquait les fesses, il se leva du lit et commença à tourner en rond dans sa chambre. Damon se frotta la peau à l’endroit du cœur avec frénésie. Comment pourrait-il endurer ce calvaire pendant tout son séjour dans cette maison ?

— Lucifer, s’il te plaît, supplia-t-il, remplace-moi sur cette mission. Je dois m’en aller…

Son ton geignard lui provoqua des frissons de dépit, Lucifer ne ferait que jouir dans son pantalon de sa souffrance. Son patron n’aimait que torturer les âmes et les corps. Qui pensait-il être pour susciter chez Lucifer une once d’humanité ?

Soudain, une violente douleur envahit sa gorge, des visions d’horreur défilèrent dans son esprit, même s’il ne connaissait toujours pas le visage du destinataire de sa punition. Il se plia en deux quand ses muscles se développèrent péniblement, lorsqu’il se redressa enfin, ses cornes apparurent.

— Ma cible est arrivée… grommela-t-il, avant de s’avancer vers la fenêtre.

Plusieurs voitures étaient garées dans leur impasse, il supposa que l’un des invités était celui dont il devait prendre l’âme.

— Comment puis-je être aussi sûr que c’est un homme ? s’étonna-t-il.

Il résista de toutes ses forces à l’appel de sa mission. Il devait attendre que le réveillon soit terminé. Agir devant des témoins serait une erreur que Lucifer ne lui pardonnerait pas, il détestait devoir venir réparer les âneries de ses démons.

Mais peut-être pouvait-il se rapprocher et faire le guet jusqu’à ce que sa cible sorte de la maison. En un instant, il atteignit le jardin de Julien. Il grogna, il aurait aimé posséder un pouvoir d’invisibilité, ainsi, il serait entré pour pouvoir fliquer le malfaisant et l’attraper dès qu’il se serait éloigné des autres. Là, il devait trouver un poste d’observation à l’abri des regards. Une nouvelle fois sa gorge devint douloureuse et il dut résister à une forte montée d’appel. Il ferma les yeux et serra les poings jusqu’à ce qu’il réussisse à se contrôler.

Lorsqu’enfin il put reprendre sa surveillance, ce qu’il vit lui déclencha une douleur incroyable au niveau de la poitrine. Mais surtout, les émotions, qui se mélangeaient en lui, provoquèrent un choc si violent que la totalité de son corps se figea.